Le scandale triangulaire provoqué par une énième « inauguration » de la prétendue « Place de l’Europe » sur l’île-mémoire de Gorée nous offre l’occasion, au-delà d’une légitime réaction de colère et d’indignation, de poser la question de fond et d’y apporter une réponse pertinente.
Reprenant dans son préambule l’article 2 de la Charte constitutive de l’Organisation de l’Unité Africaine, OUA (1963), la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (1981) réaffirmait l’engagement solennel « d’éliminer sous toutes ses formes le colonialisme de l’Afrique », et rappelait aux États-membres leur « devoir de libérer totalement l’Afrique, dont les peuples continuent à lutter pour leur indépendance véritable et leur dignité, (en) s’engageant à éliminer le colonialisme, le néo-colonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères d’agression et toutes les formes de discrimination, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’opinion politique ».
L’expérience pluriséculaire des peuples africains sur le continent comme dans la diaspora nous a enseigné que la libération véritable est le fruit d’une lutte continue pour la souveraineté politique et militaire, économique et monétaire, culturelle et symbolique.
Au plan symbolique, certains Etats ont montré la voie dès l’indépendance : qu’il s’agisse notamment en Afrique de l’Ouest de la Côte de l’Or rebaptisée Ghana ou en Afrique australe des deux Rhodésie devenues Zambie et Zimbabwe. Mais c’est précisément parce que ce combat demeure inachevé, qu’ailleurs en Afrique, l’occupant étranger et ses affidés locaux peuvent encore se permettre des affronts mémoriels tels que le rétablissement de la statue du conquérant français Louis Faidherbe dans la ville toujours pas rebaptisée de Saint-Louis du Sénégal, le maintien de la statue du génocidaire allemand Lothar von Trotha dans la ville toujours pas rebaptisée de Windhoek (Namibie), l’infâme Mausolée dédié à Savorgnan de Brazza dans la capitale éponyme du Congo, ou encore la perpétuation du drapeau des Confédérés esclavagistes dans certains États du sud des USA. Les exemples de telles ignominies sont innombrables…
Qu’il y ait en plein Paris une rue Botha croisant une rue du Transvaal, marquant ainsi le lien historique indissoluble entre l’Afrique du Sud de l’apartheid et la France impériale, est à la fois déplorable et révélateur. Ce qui n’est guère surprenant s’agissant d’un choix souverain de cet État, choix d’ailleurs partagé par d’autres pays européens. Par contre, ce que nous ne tolérons pas, c’est que l’Europe prétende pérenniser en Afrique l’apologie de ses crimes et pillages coloniaux. Et l’histoire récente retient, qu’à l’Université du Cap en Afrique du Sud, les étudiants ont dû finir par déboulonner eux mêmes la statue de Cecil Rhodes, l’envahisseur britannique raciste, esclavagiste, prosélyte du despotisme à l’encontre des Noirs et coauteur d’un crime contre l’humanité. C’est dire que l’affirmation des droits nationaux fondamentaux de tout peuple ne vaut que par sa capacité à les défendre. Les rivaux européens se sont coalisés pour détruire l’Afrique, et Gorée en est un symbole. La monstruosité d’une « Place de l’Europe » à Gorée, équivaudrait à celle d’une statue d’Adolph Hitler à Paris, d’une place des USA à Hiroshima, ou bien d’un monument à la gloire d’Ariel Sharon à Beyrouth.
En cette veille de célébration de la Journée de la Libération Africaine, nous les signataires de la présente déclaration, exigeons solennellement des autorités compétentes du Sénégal que le lieu dit « Place de l’Europe » sis à Gorée soit formellement et définitivement débaptisé, afin d’être rebaptisé « PLACE DE LA RECONSTRUCTION AFRICAINE ».
Conscients du fait que la lutte universelle contre l’impunité et pour la justice commence par le rétablissement intégral de la vérité historique sur les crimes sans châtiment contre l’humanité africaine, nous invitons toutes les associations et personnalités d’Afrique et d’ascendance africaine ainsi que les anticolonialistes du monde entier, à se joindre à cet appel en faveur d’une réparation symbolique de portée planétaire.
Dakar, le 24 mai 2018
Ont signé :
1- Mouvement International pour les Réparations (MIR-CEDEAO/MIR-France/MIR-Guyanne)
2- Université Populaire Africaine en Suisse (UPAF) Genève
3- Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme anti-Noir (CRAN) Berne
4- Sixth Region Diaspora Caucus (SRDC) Caraïbes